Dies Contemptio (6)



Résumé des épisodes précédents :
Eyma, orpheline, cherche à obtenir des capacités qui lui permettront de mettre un terme à la folie de celle qui a tué toute sa famille : la sorcière rouge. Le devin qui s'est fait son médecin après qu'elle a été frappée à la poitrine (mais pas en plein cœur, celui-ci se trouvant plus près de ses poumons qu'il ne devrait l'être) s'est décidé à l'aider. Pour qu'elle soit introduite aux mystères de la magie de la sorcière rouge, il lui brode un dessin dans le dos à l'aide d'un fil bleu surnaturel.




Eyma s'allongea sur le ventre et le devin commença. Elle ne voyait pas ce qu'il faisait, mais elle se fichait bien de ce à quoi pourrait ressembler le dessin final. Elle voulait avoir la force de venger sa famille, la force de protéger les faibles que la sorcière rouge menaçait. C'était ça le plus important.
Elle sentait des picotements dans son dos. De petits pics lui titillaient la peau, c'était amusant. Elle avait du mal à se retenir de rire et de bouger. Le devin la regardait avec des yeux noirs et elle se calmait tout de suite. C'était comme si elle savait que ce qu'il y avait dans son dos était vivant, comme si une autre conscience s'ajoutait à la sienne dans son corps. Les pics étaient chauds, et une fois sur sa peau, ils fourmillaient, ils se répandaient dans son sang, dans ses os, ils envahissaient tout son être et constituaient dès lors ce petit plus qui lui permettrait, une fois fini, de marcher à travers les flammes.
C'était une force nouvelle, comme un éclair, une nouvelle inspiration. Ça montait, ça descendait. Il ne s'agissait pas seulement d'une force dans ses muscles, mais d'un quelque chose de plus ajouté à son âme. C'était comme si on faisait tomber les murs de sa maison. Elle sentait toujours la protection du toit au-dessus de sa tête, mais elle voyait l'horizon. Elle ressentait tout cela sans pouvoir bouger ; le devin n'avait pas fini. C'était pour elle une impulsion brute, concentrée comme l'essence d'un parfum. À mesure que le devin avançait, Eyma sentait monter en elle quelque chose de neuf, quelque chose d'extraordinaire et elle n'avait qu'un mot pour l'exprimer : sa liberté.
Le devin avait l'air surpris par l'air béat qu'Eyma affichait. Elle était détendue, tranquille. Elle posait sa tête sur ses mains, et elle fermait les yeux, le sourire aux lèvres.
L'opération dura longtemps. Le devin y mettait tout son savoir-faire. Eyma sentait qu'il repassait plusieurs fois au mêmes endroits ; il avait l'air de tenir à certains détails.
Pourtant, quand il leva l'aiguille pour la dernière fois, quelque chose se déchira. Depuis le début, il construisait un vide qu'Eyma avait rempli de « liberté ». Il fallait un bouchon à cette bouteille, et il se nomma « douleur ». Le fil coupé était un membre arraché. Tout son sang criait, réclamait réparation. La découverte que la liberté avait un terme était la plus dure des découvertes. Eyma la supportait à peine. Lorsque le devin brodait, son corps était devenu léger... mais à présent il retombait dans la dure réalité. Les picotements étaient devenus tiraillements. Chacune de ses veines était tirée à droite et à gauche, comme une peluche que des enfants se disputent. Son sang devenait froid, ses muscles s'écartelaient, elle n'était plus maîtresse de son propre corps, elle n'était plus qu'une douleur.
Face à cette douleur, une seule chose lui apparu : le visage de la sorcière rouge. Face à la douleur, il n'y avait que la haine. Eyma se souvenait du cadeau qu'elle lui avait fait, de la laisser mourir la dernière et de la tuer sans heurt. Mais c'était un faux cadeau tout ça. Depuis cette nuit fatale, Eyma était seule et rien ne l'épargnait. Elle devait suivre une voie dangereuse pour parvenir à stopper cette folie meurtrière. La sorcière rouge l'avait forcée à quitter sa maison, à pleurer sa famille. Plus elle y pensait, plus la haine l'aidait à surmonter la douleur. Le devin, assis à côté d'elle, le voyait bien et semblait s'en effrayer. Eyma se calma, puis s'endormit. Quand elle se réveilla, elle voulait partir. Le devin l'arrêta.
-Vous voulez vous venger, soit, mais méfiez-vous. Je ne vous parle pas de magie, je vous parle de colère. Arrêtez la sorcière rouge, mais ne sombrez pas dans le cercle infernal de la haine, ou vous deviendrez comme elle. Vos mains prendront la couleur du sang de vos victimes et vous hériterez de son nom.

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