Dies Contemptio (7)
Résumé des épisodes précédents :
Eyma veut venger sa famille, assassinée par une mystérieuse magicienne : la sorcière rouge. Seule survivante de l'attentat - à cause d'un cœur mal placé - elle a demandé l'aide d'un devin afin d'acquérir les mêmes pouvoirs que son ennemie. Au pris d'une séance de broderie assez douloureuse, Eyma redécouvre le monde, sous l'angle de la magie.
Eyma fit un pas dehors.
Le soleil brûlant de l'été avait tué l'herbe autour de la cabane
du devin. Mais sous son pied, elle sentait un gazon frais et épais.
C'était doux, confortable, rassurant. Les brins lui chatouillaient
la peau, comme une caresse d'amour, comme un tendre enlacement. Elle
posa un deuxième pied dehors et vit les brins sortir de terre, sous
sa plante.
Elle courut, l'herbe la
suivait. La douleur avait disparu, elle se sentait de nouveau libre.
Elle riait. Le vent n'était plus un obstacle. Ses jambes étaient
légères... Elle fit un tour sur elle-même et la clairière s'anima
tout d'un coup d'une vie nouvelle, fraîche. Elle riait et les
oiseaux lui répondaient. Elle leva le bras et au bout de ses doigts
s'envolèrent mille papillons. D'un souffle elle les éparpilla. Elle
leva les yeux au ciel et un pétale blanc lui tomba sur le nez, comme
un flocon. Elle ferma les yeux et s'imagina cette pluie de fleurs.
Elle les rouvrit et la clairière était inondée de roses blanches.
Elle invita la mer à se joindre à elle en soufflant dans les
branches des arbres.
Tout était facile, tout
était fluide. Tout était une part d'elle-même. Les fleurs
poussaient lorsqu'elle ouvrait les bras. Elle écartait les nuages de
la main, ou les rassemblait en fermant le poing. Elle était grande,
elle était puissante ! Ses pas rendaient un écho. Sa voix
était forte. Elle s'appuyait sur le monde et le monde s'appuyait sur
elle. C'était un cercle complet dont elle prenait conscience alors.
Ce qu'elle créait, ça donnait une importance à sa vie, à ses
actes. Une averse éclata, dense comme les rares averses de l'été.
Eyma était trempée, mais elle riait à gorge déployée.
Au château, elle n'avait
pas le droit de courir. Elle ne pouvait pas rire ouvertement. Elle
était serrée dans des robes encombrantes. Elle apprenait à se
taire, à broder, à prier, à être jolie. Au château, elle
côtoyait les femmes que son père jugeait bon qu'elle côtoie. Elle
suivait les cours qu'il voulait qu'elle suive. Elle mettait les robes
qu'il aimait. Elle voulait être belle pour son papa. Le poignard
avait laissé une cicatrice assez laide, qu'on voyait par les trous
de la chemise qu'elle portait ; usée et sale, celle qu'on
utilise pour les malades en qui on ne place pas grand espoir. Elle ne suivait
pas l'étiquette, elle était habillée comme un homme, elle avait le
rire gras du fond de la gorge, elle n'était pas jolie. Elle était
libre.
Elle fronça les sourcils
et frappa le sol du pied. La terre rendit un grondement sourd et se
mit à trembler. Elle leva les bras et les baissa ; la pluie
suivi son mouvement et tomba d'un coup, avant de reprendre son allure
normale. Elle claqua des doigts et un éclair alla foudroyer un
pivert qui se vaquait à ses occupations. Elle fit des mouvements
avec ses bras et l'onde qui en jaillit alla tailler quelques
branches. Eyma se rendit compte de la puissance de ce qu'elle venait
d'acquérir. Le devin avait raison ; dans la haine ou dans
l'amour, la force était la même, mais il ne fallait pas qu'elle se
trompe. Où menait la haine ? Elle regarda ses mains. Elles
étaient blanches. Comme une feuille de papier ; aucun stylo
n'avait encore tracé de ligne.
Ce grand pouvoir qu'Eyma
avait acquit, il avait fallu que toute sa famille meure pour qu'elle
puisse l'obtenir. Et en même temps, c'était si grand, si beau....
Elle était heureuse d'être là et de vivre ce moment. Tout ça lui
avait coûté si cher.. elle se promit de rendre l'usage qu'elle en
ferait un hommage à sa famille disparue. Elle se promit qu'elle ne
s'en servirait que pour être libre. Elle jura qu'elle ne deviendrait
pas comme la sorcière rouge.
Elle voulut savoir si
elle pouvait se débarrasser vraiment de ce qui pesait lourdement sur
les hommes. Elle regarda la pluie droit dans les yeux et bientôt
elle fut plus haut qu'elle.
Elle posa le pied sur le nuage, c'était étrange. C'était chaud et humide, comme un nid
immatériel. Elle leva le nez, commença à marcher puis se mis à
accélérer le pas de plus en plus vite, jusqu'à ne plus sentir ses
poumons dans sa poitrine. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle
courait dans les nuages. Elle s'arrêta lorsque le ciel était de
nouveau vide. Elle leva les yeux vers l'horizon et vit une jeune
femme devant elle. Elle avait l'air d'avoir couru elle aussi. Elle
avait les mains rouges.
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