La Colocation de Clarisse (2)
Le Colocataire
En réalité, Clarisse
n'alla pas bien loin. Son appartement faisait à peine vingt mètres
carrés. Le lit collait au canapé. Elle adorait, pour aller se coucher,
passer par dessus le canapé et se vautrer dans son lit, d'où la
disposition des meubles. Elle tenait aussi beaucoup à séparer l'endroit
où elle dormait de l'endroit où elle regardait la télé, ne me demandez
pas pourquoi, après tout, on a tous nos lubies. Le frigo touchait à
gauche de la télé, elle n'avait même pas besoin de se lever pour aller
chercher à manger. En face du frigo, oui, tout à côté du canapé, vous
avez bien suivi, il y avait une grande table (relativement grande par
rapport à la pièce bien sûr) sur laquelle Clarisse mangeait et
travaillait. Elle était en licence de biologie, elle redoublait sa
première année. Clarisse n'était pas sûre d'être faite pour ça, mais
comme elle ne savait pas pourquoi elle était faite, elle avait laissé
d'autres personnes décider à sa place. Elle aimait bien sa vie, même si
elle ne menait nul part. Et le soir, en se couchant, elle s'imaginait
doctorante respectée, professeur émérite, scientifique reconnue. Elle y
pensait tous les soirs et tous les soirs elle s'endormait.
Le lendemain matin de
cette étrange soirée, quand Clarisse, les yeux encore fermés par le
sommeil, les cheveux ébouriffés, se leva de son lit, qui n'était plus
qu'un champ de ruine après la bataille de sa nuit, trouva, assis à la
table de ce qu'elle aimait appeler son salon, Loki, une tasse de café à
la main.
-Vous ne mangez rien ?
-J'ai préparé ça au hasard... On ne peut pas dire que ce soit très bon.
-Ça se boit chaud normalement...
Elle le regardait.
-Mais, vous avez pourtant vécu sur Terre pendant un certain temps, non ?
-Normalement, le sceptre est là pour m'aider...
-Ah oui, mais ça n'a pas pris hier soir, alors vous ne pouvez pas m'obliger à vous faire du café... Je comprends.
Elle se frottait encore les yeux.
-Où est passé mon nounours... ? Il tombe toutes les nuits du lit, mais jamais au même endroit....
-Sur le canapé. Tu me l'as lancé dessus en grognant quelque chose comme « Dans ta face... »
Clarisse commençait à se
réveiller. Elle alla chercher son nounours de l'autre côté du canapé et
le remit dans son lit. Elle se leva, secoua la couette, fit semblant de
refaire son lit. De toute façon, elle était la première placée pour
savoir que ça ne servait à rien et que ce serait la même chose le soir
suivant.
-Vous allez rester ici longtemps ?
-Je ne sais pas
encore... Je dois faire profil bas, et puis il faut avouer que je suis
curieux de savoir pourquoi le sceptre ne marche pas.
-Il est cassé peut-être ?
Loki la regarda droit dans les yeux et ce regard signifiait : « mais t'es bête ou quoi ? »
-Je suis désolée, mais je vois pas pourquoi, juste sous prétexte que ça vient pas de la Terre, ça pourrait pas se casser.
-Justement. En parlant de choses qui ne viennent pas de la Terre, tu viens d'où ?
Clarisse s'assit en face
de lui et bailla un grand coup. Elle était allée mettre la tasse de
Loki au micro-ondes et avait rajouté la sienne. Elle allait avoir besoin
d'un coup de main pour se réveiller ce matin. Elle se gratta la tête.
Peut-être prendrait-elle une douche avant d'aller à la fac.
-Je viens de vers
Angoulême, un patelin paumé par là-bas... Je ne vous donne pas le nom,
de toute façon, personne ne connaît, et dès qu'on entre au lycée, on se
presse d'en sortir tellement ya rien. La bibliothèque, quand j'étais
gamine, c'était une étagère à la mairie. Yavait quatre bouquins qui se
battaient en duel et tous les enfants qui se battaient littéralement
pour avoir le dernier tome de Garfield avant tous les autres... Vous
connaissez Garfield ? C'est un chat un peu cynique... Vraiment très
drôle. Si vous savez pas quoi faire, je dois avoir tous les tomes,
quelque part dans mon bordel...
La petitesse de
l'appartement devait sûrement jouer pour beaucoup, mais il était vrai
que le seul mot qui convenait pour qualifier cette chambre (ou cet
appartement, ça dépend comment les agences immobilières vendent ça)
était bien : foutoir. Clarisse n'invitait jamais ses parents chez elle.
Elle prétextait qu'il valait mieux que ce soit elle qui se déplace
plutôt qu'eux et le tour était joué. Ils n'avaient pas vu le moindre
centimètre de sa vie intime depuis que le propriétaire lui avait remis
les clés. Loki regardait ça avec indifférence.
-Qu'est-ce que vous faites aujourd'hui ?
-J'ai besoin de temps pour réfléchir.
-Donc vous serez encore là ce soir ?
-Il y a de fortes chances, oui.
Clarisse hocha la tête.
-Vous allez me taper si j'essaie de vous mettre dehors ?
-Tu sais où est ton intérêt.
Et c'est ainsi que Clarisse trouva un colocataire.
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