Dies Contemptio (25)






Eyma se réveilla. Elle avait mal à la tête et voyait flou. Autour d'elle, la chambre de princesse avait disparu. Elle se trouvait sur un sol froid et dur, blanc. Les murs et le plafond se perdaient dans un brouillard épais. De nouveau, comme dans ces cauchemars, les fantômes effrayants et égoïstes des maudites la hantaient, horribles dans leur désir de vengeance.

« Vengeance... »

Eyma avait courut tout le royaume pour cela. Pour la vengeance ; pour sa vengeance. Elle se déplaça difficilement, elle voulait partir mais ne pouvait tenir sur ses jambes. Elle reconnaissait vaguement des formes se dessiner, pâles et troubles, des robes de vierges et au milieu d'elles, un costume sombre aux extrémités tâchées d'un rouge pourpre...
Elle reprenait ses esprits mais elle ne comprenait pas ce qui se passait. Les formes était mouvantes, changeantes et Eyma comprit bientôt qu'elles se battaient... De violentes déchirures et des cris douloureux s'éparpillaient dans l'air, tous dirigés vers le même objet ; cette ombre centrale, qui ne se défendait pas, qui n'attaquait pas, qui ne bougeait pas.
Alors Eyma hurla. Elle hurla à plein poumons. Elle laissa tout s'envoler, tout disparaître, tout s'échapper. Ce cri n'était ni du désespoir, ni de la haine, ce cri c'était l'épuisement. Tout s'envolait autour d'elle. La réalité s'effilait comme une mauvaise pelote, elle s’essoufflait comme une mauvaise blague. Elle avait mal au cœur et une brûlure lui rompait le dos. Son souffle était faible, mais sa voix était puissante. Son cri était douloureux, mais il était libre.
Ses yeux n’en finissaient pas de pleurer. Les larmes elles-mêmes n’avaient plus de sens, elles n’étaient plus l’expression commune de la douleur et de la peine, elles étaient le fondement même d’Eyma, l’eau vitale à son corps, qui s’épuisaient par ses yeux. Et cela la faisait tellement souffrir de se voir partir par la douleur que lui causait ce combat que son regard devint électrique. La lumière blanche qui franchissait sa rétine devenait une impulsion qui de nouveau fit battre son cœur. Les promesses et les serments lui revinrent à l’esprit comme l’avenir qui restait à accomplir, comme la destinée dont dépendait son bras. Une colère électrique l’envahit, la dépassa et devint l'arme que personne ne pouvait plus repousser. L’atmosphère prit du poids et insuffla une sueur froide à celles qui jusque là l’avaient ignorée. On sentit un malaise parcourir l’assemblée. Les coups cessèrent, petit à petit, contre la forme sombre, qui ne bougeait toujours pas.

Et cette forme sombre savait très bien qu’il fallait en finir, et qu’aujourd’hui était la fin. Elle savait que d’elle ou des autres, il fallait qu’un parti tombe pour ne plus jamais renaître. Elle savait qu’elle ne pouvait pas lutter. La force qui se déchaînait dans son dos, sans commune mesure avec celle dont elle avait été témoin jusque là, elle était convaincue qu’il s’agissait de la fille de l’air, qui préparait le seul coup qui pût la tuer.
Ara le savait. Les dieux la laissait vivre parce que la mort n’aurait pas été une punition. Les maudites elles non plus ne connaissaient le dessein des dieux et elles ne pouvaient pas non plus l’influencer. Elles tentaient le tout pour le tout. La sorcière rouge avait faillit à son devoir ; elle avait trahi ses maîtresses, il ne lui restait plus qu’à disparaître dans le néant d’où elle était sortie. Son fantôme n’hanterait jamais personne. Nulle pierre tombale ne pourrait recueillir les fleurs ou les crachats. Son existence pathétique, vouée à l’obéissance à des forces plus puissantes, se solderait par l’effacement complet de tout acte accompli. Rien ne resterait de cette histoire. Le sable, porté par le vent, sur les dunes du désert, n’aurait pas plus d’importance que sa vie à lutter. Elle n’était rien. Elle n’avait jamais rien été. Sa mort serait comme toute sa vie.

Et puis tout sembla s’arrêter.
D’abord, les maudites avaient cessé leurs attaques.
Un vent glacial s’était levé.
La lumière s’était effacée.
Le ciel se zébra d’éclairs.
Une à une, les maudites furent touchées.
La sorcière rouge les regarda tomber. Leur mort ressemblait à celle d’enfants trop fatiguées. Elle sombrait dans ce dernier sommeil avec le sourire aux lèvres, la paix retrouvée. Elle en reconnut beaucoup, mais ne vit pas celle qu’elle cherchait ; la fille de l’air. Peu à peu, toutes disparurent. Il ne resta rien qu’un désert blanc, immensément vide, affreusement vide.

Ara se retourna et vit Eyma au sol. Elle était prise par la fièvre, elle semblait en délire. Elle prononçait des paroles incohérentes, parmi lesquelles revenait toujours la même rengaine : « vengeance… », qui l’obstinait, jusqu’à en perdre la tête.
Ara regarda avec émotion cette jeune fille qu’elle avait provoquée. Après tout ce qu’elle avait fait, elle venait de la sauver.

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