Dies Contemptio (22)

C'est l'été... il fait chauuud !
Profitons-en, dans quatre mois, on se plaindra qu'il fait froid !

 

Résumé :

Eyma a soixante jours pour prouver que la sorcière rouge, qui massacre leur famille en représailles du massacre traditionnel des maudites, a tort et qu'ils ne méritent pas la mort. Elle est retournée à la capitale du royaume, là où la sorcière rouge a grandi, dans l'espoir de trouver la ou les personnes qui l'aurai(ent) aidée.




- Que fais-tu là, jeune fille ?
Eyma tourna la tête vers cette nouvelle voix, revint sur la première apparition ; elle avait disparu. Elle resta bouche-bée quelques secondes, puis se reprit.
- Je cherche quelqu'un...
Elle ne voulut pas mentionner l'apparition. Elle avait assez de questions embarrassantes à poser.
- Tu as dû t'égarer pendant tes recherches... personne d'autre n'habite dans cette aile du château.
C'était une petite vieille, tassée sur elle-même. Elle portait ses cheveux gris dans un chignon assez mal fait mais qui, finalement, ne faisait que participer au charmant tableau qu'on peint des grands-mères dans les livres pour enfants. Elle accueillit Eyma chaleureusement quand elle lui annonça qu'elle était venue lui rendre visite et l'invita à venir déjeuner avec elle. La jeune fille accepta volontiers et elles mangèrent toutes les deux tout en discutant comme si elles se connaissaient depuis des années.
Eyma n'aborda le sujet qui l'intéressait qu'à la fin du repas.
- Dites... qu'est-ce que vous pensez de la maudite ?
La vieille femme resta quelques instants sans rien dire. Et puis elle répondit :
- Vous connaissez déjà mon point de vue, n'est-ce pas ? Et vous voulez me l'entendre dire pour savoir si c'est la vérité ? Est-ce que les gens de votre âge n'ont pas autre chose à faire que de venir importuner une pauvre grand-mère pour se moquer d'elle...
Eyma lui prit les mains.
- Ne doutez pas de la sincérité de ma question. J'ai entendu dire, dans les campagnes, qu'elle était capable de faire de la magie...
Ce mot fit frisonner la vieille femme.
- Et j'ai entendu dire aussi, que la magie n'était pas signe de décadence... qu'elle pouvait nous donner plus que ce que nous avons aujourd'hui... !
- Je vous aime bien, vous m'avez l'air assez naïve pour écouter sérieusement mes histoires.

« Il y a longtemps, très longtemps, l'humanité vivait avec et par la magie. Il y avait de la magie partout. Pour manger, pour se réchauffer... les hommes n'utilisaient que la magie. Pour se soigner, pour se protéger, les femmes n'avaient pas d'égales dans l'usage de cet art.

 - C'était fantastique !

- Que dis-tu, malheureuse ! C'était le chaos ! Avec la magie, impossible de bâtir de grandes et solides villes comme celles d'aujourd'hui ! Avec la magie, il n'y avait ni puissants seigneurs ni glorieuse majesté ; les hommes vivaient les uns sans les autres et n'arrivaient pas à construire quoi que ce soit de grand ou de beau. Ils vivaient, séparés, cachés, ici ou là, en petits groupes et ils s'ignoraient royalement les uns les autres ! Parce qu'ils utilisaient la magie, ils ne prirent même pas la peine d'écrire et tout ce qu'ils purent faire pendant cette période, des grands noms de l'histoire aux comptines chantées aux nourrissons, tout a disparu.
Lorsque l'ancêtre de la famille royale prit le parti de construire une ville en dur et de bannir la magie de ses murs, il put enfin rompre ce cycle animal de nos existences et nous porter vers un brillant futur. Les dieux ont soutenus son entreprise, c'est certain, car il apporta la paix et la prospérité dans toute la région. La chance lui sourit et sa ville fut protégée des maladies et des calamités de ce genre. Personne n'osa défier son pouvoir et, au fil des siècles, ses successeurs, nombreux et vaillants, ont pu étendre le domaine ancestral à tout le royaume que tu connais aujourd'hui. La magie ne nous a rien apporté de bon. À partir du jour où elle fut bannie, l'humanité a pu progresser vers un degré de compréhension du monde et de son être même bien plus élevé que par le passé et au lieu de subir les aléas de la nature, nous avons trouvé les moyens de la soumettre. Aujourd'hui, c'est l'égoïsme d'une gamine trop gâtée qui vient tout gâcher mais il est certain qu'il n'y a pas de plus glorieux chemin pour les hommes que celui qui détruit toute la magie. »

La vieille avait peut-être raison après tout. Sans magie, pas de maudite ; sans maudite, pas de fille de l'air ; sans fille de l'air, pas de sacrifiées ; sans sacrifiées, pas de sorcière rouge. Pas de morts. Pas de vengeance. Cachée dans un donjon, la paix s'étalerait encore sur tout la surface de la terre.

Cette réponse était tentante. Elle apportait une paix relative à sa conscience. Elle l'aidait à tout oublier, à se dire que ce n'était pas sa faute, que seule la sorcière rouge était responsable. Et puis Eyma reprit ses esprits. Elle se souvint des luttes pour les territoires, des animosités entre ses oncles pour le contrôle de telle ou telle région, d'enfants mystérieusement disparus juste avant leur succession. Elle se rappela qu'elle-même était heureuse d'être née femme, ce qui arrive rarement, parmi tous ses frères. Elle savait qu'un jour, elle ne pourrait plus tous les voir réunis autour de la même table pour partager la même tarte aux prunes mais qu'elle pourrait toujours, éloignée des querelles politiques, aller les voir chacun dans leur domaine.

Elle remercia la vieille pour ses histoires, laissa entendre qu'elle était convaincue et repartit.
En réalité, elle avait maintenant plus de questions que lorsqu'elle avait commencé à prendre le déjeuner. Tout ce qu'on venait de lui révéler signifiait que sa famille était bien dans le tort depuis le début et que les dieux ont choisi, générations après générations, un être qui conserve encore et encore le savoir qu'ils avaient légué aux hommes pour vivre heureux. Et générations après générations, ils ont tué cet espoir, ils l'ont violé, humilié, rabattu, vendu, écrasé, immolé au nom d'une gloire plus grande, plus palpable. La maudite des hommes était bien l'élue des dieux.
Et tout cela voulait dire que la sorcière rouge avait raison d'éradiquer sa propre famille.

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