Dies Contemptio (21)

Résumé :

Eyma a soixante jours pour prouver que la sorcière rouge, qui massacre leur famille en représailles du massacre traditionnel des maudites, a tort et qu'ils ne méritent pas la mort. Elle est retournée à la capitale du royaume, là où la sorcière rouge a grandi, dans l'espoir de trouver la ou les personnes qui l'aurai(ent) aidée.



Eyma se présenta à l'entrée de service du château et dit qu'elle cherchait du travail. Le majordome, un grand homme maigre, l'examina des pieds à la tête et n'eut pas l'air convaincu. Toutefois, le regard enflammé et son discours sauvagement décidé firent impression et il la laissa intégrer le service de la famille royale.
Elle fut vite installée et formée. Elle avait pour tâche de faire les chambres : changer les draps, nettoyer les sols, les fenêtres, bref, s'assurer que tout était en ordre. Le travail était ingrat mais Eyma y voyait surtout la possibilité de se déplacer assez librement dans le château sans attirer l'attention. Dès qu'elle avait fini ses tâches, ce qui, avec ses capacités, ne prenait jamais très longtemps, elle arpentait de long en large les couloirs. Elle essayait de reconstruire les lieux et les événements mais c'était peine perdue. En discutant avec d'autres domestiques, elle apprit que les filles du roi logeaient dans une autre aile du château, une aile, bien sûr, soigneusement surveillée et où les domestiques étaient triés sur le volet. Quiconque entrait dans ces bâtiments n'en ressortait pour ainsi dire plus. Puisqu'elle n'avait pas le temps de gagner la confiance de tout le château, elle décida qu'il fallait trouver un moyen d'aller y fourrer son nez sans se faire prendre. Pour ce faire, elle se lia d'amitié avec deux jeunes filles, qui, comme elle, faisaient les chambres et qui étaient connues pour savoir s'amuser, quand elles le pouvaient. Espiègles et malignes, elles ne perdaient jamais une occasion de faire une farce, de se moquer d'une moustache ou de la passion de la grosse cuisinière pour l'écuyer. La sorcière rouge, elles avaient décidé de l'ignorer : « Ce serait lui donner trop d'importance et finalement, la laisser croire qu'elle est quelqu'un de sérieux » et après avoir professé cette bonne parole elles s'étaient éloignées, bras dessus, bras dessous, comme des enfants.
Eyma joua le jeu. Elle les aida lors d'une ou deux entreprises un peu risquées, ria à tue-tête avec elles et puis finit par obtenir leur confiance. Un soir, alors qu'elles profitaient de la chaleur d'une belle journée pour se baigner dans l'une des sources proche du château, elle voulut leur demander de l'aider à s'introduire dans l'aile interdite.
- Oh, mais quel magnifique tatouage ! Regarde, c'est un papillon qui court sur tout son dos. Les ailes glissent vers ses épaules et sur ses hanches... Moi aussi j'en veux un comme ça, tu l'as fait faire où ?
Eyma n'avait pas compris de quoi elles parlaient.
- Mais, de ce que t'as dans le dos voyons !
Cette remarque arrêta Eyma net. Elle réalisa qu'elle n'avait jamais pensé à regarder ce qu'elle avait dans le dos. Le devin aurait fait un dessin des plus laid qu'elle ne s'en serait même pas aperçue... Elle se souvint de ce qu'il lui avait dit : l'image, qui liait la magie à son sang, pouvait soigner n'importe quelle blessure mais si elle s'effaçait pour de bon, tout était fini. Mais cette magie, était-elle capable de s'occuper du dragon ? Elle demanda aux deux acolytes une plus ample description ; les miroirs étaient durs à dénicher ces derniers temps.
- Et bien, c'est un papillon, on te l'a déjà dit, qui va du bas de tes hanches jusqu'à la base de ta nuque. Il est dessiné avec une encre bleue, magnifique je dois dire... claire comme le jour, on dirait même qu'elle est vivante, qu'elle respire dans ton dos... Je n'ai jamais rien vu de pareil...
- Eh, regarde ! On dirait que cette spirale, là, vient de disparaître !
- T'es sûre ? Comment ce serait possible ?
- C'était comme si... tu sais, comme dans un motif, mal brodé, se défait sur une bande de tissu ?
- Ça ressemblerait presque à de la magie...
Eyma essaya de faire dévier la conversation avec un rire gêné. Elle savait parfaitement que, plus que n'importe où, la magie était taboue dans la capitale.
- Voyons, la magie, ça n'existe pas...
- Ne plaisante pas Eyma. On raconte dans les couloirs que la maudite, en réalité, serait capable de faire de la magie. Rien que d'y penser, j'en frisonne...
- Qui raconte ça ?
La question d'Eyma jeta un froid.
- Personne n'aime répéter ce qu'elle raconte. On risque d'avoir des ennuis. Le maître d'hôtel préfère qu'on colle du gaillet grateron dans le dos des bourgeois qui viennent nous rendre visite... De toute façon, elle est folle, elle raconterait n'importe quoi pour se rendre intéressante.
- Je vous croyais plus téméraires...
Eyma les avait piquées là où ça fait mal : leur orgueil.
- D'accord, d'accord !
Elles lui donnèrent le nom de la vieille que tout le monde évitait et lui indiquèrent où la trouver. Toutefois, comme il était extrêmement mal vu de traîner près d'elle sans aucune raison valable, elles préférèrent la laisser y aller toute seule. Elles ne voulaient pas risquer de perdre leur place.

Eyma attendit quelques jours et choisit d'aller voir cette femme à un moment creux de la journée : l'heure du déjeuner. Elle n'avait pas bien compris la fonction qui lui était attribuée au sein du personnel de maison, mais enfin peu importait. Ça devait avoir un lien avec le fait que la chambre qui lui était attribuée, chambre individuelle, un luxe réservé aux personnes de son âge, se trouvait dans un bâtiment où il n'y avait que des pièces qu'on utilisait rarement.
Les couloirs étaient poussiéreux, les lumières n'avaient pas été changées depuis longtemps, les rideaux étaient fermés sur certaines portions. On entendait le vent souffler sur le sol et glisser insidieusement dans la nuque des rares visiteurs qui s'étaient égarés dans ces étages abandonnés. Eyma ne se laissa pas effrayer pour autant ; elle avait vécu pire. Elle avança résolument, elle ne pouvait s'absenter trop longtemps sans que ça devienne suspect aux yeux du maître d'hôtel qui surveillait les allées et venues de tout le personnel.
Elle prit le tournant à droite, comme on le lui avait indiqué, quand soudain, elle se retrouva face à face avec une silhouette fantomatique et translucide. Une forme imparfaite, hésitante, mais qui semblait la fixer avec une ardeur indicible. Et même s'il était difficile de d'affirmer qu'il s'agissait d'un homme, Eyma était persuadée d'avoir déjà vue cette forme quelque part...

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