La fille de l'air (27)

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Résumé des épisodes précédents :
 Eyma veut venger la mort de sa famille, elle est bien décidée à en finir avec la sorcière rouge et sa justice ! Ara, de son côté, après avoir tenté une première fois de tuer Eyma sans y parvenir, décide de lui laisser soixante jours pour lui prouver que leur famille vaut la peine d'être sauvée.



Ce jour-là, alors qu'elle rentrait à ce quelle appelait désormais "la maison", elle trouva toutes ses sœurs autour d'une gamine qu'elles avaient invité. "La maison", c'était un lieu qui existait et qui n'existait pas en même temps. C'était un rêve qu'elle avait transformé en lieu. Elle ressemblait à une grande maison (elles étaient très nombreuses, il fallait bien que chacune ait sa chambre !) comme celles qu'on voit dans le Sud, avec du lierre qui grimpe sur les murs sur la façade et de grandes fenêtres pour laisser entrer le soleil. C'était aussi un immense terrain, qui changeait au gré des envies de ses propriétaires. Rien n'existait vraiment que leurs envies. La maison et l'amphithéâtre où elles aimaient toutes discuter étaient les seuls bâtiments qui ne changeaient jamais. C'était un lieu qu'elle aimait parce qu'elle se sentait acceptée pour ce qu'elle était, ni plus, ni moins. On ne lui demandait d'être personne d'autre qu'elle même. Elle et ses sœurs étaient toutes différentes, alors, parfois, elles ne s'entendaient pas mais la règle d'or était de faire de son mieux pour se comprendre, afin de ne jamais briser l'unité de cette si belle et si rare famille. La famille que leur avait donné les dieux les avaient trahies, elles ne pouvaient plus compter que les unes sur les autres à présent.
L'invitée était donc une surprise ; personne ne mettait jamais les pieds à la maison, exceptées celles qui y vivaient, c'était comme une règle tacite. Et puis on ne pouvait pas vraiment dire qu'elles habitaient là pour inviter du monde... L'emplacement avait justement été choisi pour éviter la compagnie. Ara les connaissait, elles n'aimaient pas les parties de thé, et d'ordinaire, elles restaient entre elles, ne s'intéressaient jamais vraiment qu'à elle, Ara.
Elle avait les moyens d'arrêter ce qui allait se passer, et il n'y avait aucun doute : il se passerait ce qu'Ara pensait que ça allait se passer. Les paysans la surnommait "sorcière rouge", mais ils ne connaissaient pas ses sœurs... Est-ce que leurs mains pouvaient être plus rouges que les siennes ? S'il était possible qu'elles aient encore de la peau, sans aucun doute possible. Il fallait intervenir, bien évidemment. Toutefois elle voulait savoir de quoi il était question avant de faire quoi que ce soit. Elles étaient toutes réunies dans le grand amphithéâtre où elles prenaient les décisions collectives. Ses sœurs étaient habillées en vêtements de cérémonie, les robes qu'elles portaient toutes le jour où elles ont été déclarées maudites, cette robe de toile blanche que toutes exécraient... Ara s'approcha au maximum et se cacha derrière les gradins. Elles étaient toutes assises dans l'amphithéâtre, personne ne la trouverait. Elle s'accroupit et tendit l'oreille.
C'était la fille de l'air qui prenait la parole. "Elle se fait de plus en plus présente ces derniers temps..." se dit Ara. Non pas que ça l'inquiétait vraiment. Elle remarquait juste qu'elle avait été la dernière à se présenter quand elle était arrivée, qu'à l'époque elle avait dit ne pas vouloir intervenir et que depuis qu'Ara avait choisi de les rejoindre, elle ne faisait que gagner en influence. Elle voulait amplifier le mouvement, lui donner plus de force et d'impact. Elle félicitait Ara à chaque fois que celle-ci brûlait le village avant de nettoyer le château. Et puis elle avait vieilli, c'était drôlement curieux, pour une morte, de vieillir et d'avoir des cheveux blancs...
-Vous êtes coupable !
Ara écouta le laïus de l'ancienne maudite, ce laïus qu'elle détestait tant... Depuis le début, elle détestait cette idée de prédestination, d'élection des dieux, de mission à remplir... de torts à redresser... Elle agissait uniquement parce que l'inaction avait déjà montré ses limites. Ara voulait voir dans ses actes la libération de ses choix, pas les fers de son destin. La gamine, l'invitée, à qui la fille de l'air parlait, elle la reconnue rapidement, même sans bien la voir.
C'était celle qui n'était pas morte. Elle ne connaissait pas son nom, mais elle se souvenait d'où elle venait, de la colline et du sort qui avait perduré dans ses mains alors qu'il aurait dû disparaître. Elle savait cette fille importante, même si elle n'aurait pas su dire ni en quoi ni dans quelle proportions. Elle n'était pas morte. Elle aurait dû mourir et elle n'était pas morte. Quelque part, Ara se retrouvait en elle : elle avait choisi un autre chemin que celui qui lui avait été tracé...
Elle continua d'écouter. Les maudites la condamnaient à mort parce qu'elle était en train d'essayer de l'arrêter, elle, Ara. Elle aurait dû s'en douter ; rien n'échappait à ses sœurs. Elle aurait dû leur en parler, leur expliquer son choix. Elle se doutait bien qu'elles ne comprendraient pas, comme elles le prouvaient à l'instant même et c'était peut-être pour ça que, finalement, elle ne leur avait rien dit.
Tout d'un coup, cachée dans son coin, Ara vécut une sorte de rupture. Jusqu'ici, elles avaient, elle et ses sœurs, vu les évènements de la même manière. Elles avaient pris les décisions ensemble, elles avaient toujours trouvé un terrain d'entente. Depuis la mort de son père, ses sœurs étaient toute sa famille. Mais lorsqu'elle les vit accuser cette gamine, quelque chose se cassa. Elles qui suivaient ses moindres gestes, qui connaissaient ses états d'âmes, qui savaient la raison de tous ses actes, elles n'avaient pas compris pourquoi il était important que cette gamine reste en vie. Elle avait survécu, ça ne pouvait pas être autre chose qu'un signe des dieux.
Bientôt, Ara comprit ce qui venait de rompre. Comme ses sœurs, elle voulait défaire toutes les femmes de leur famille de cette horrible malédiction qui était leur fardeau depuis trop longtemps. C'est pour ça qu'elles s'étaient trouvées et associées. Seulement voilà, aujourd'hui, la gamine changeait de discours et invoquait la justice pour les condamnés. Ara avait suivi son jugement quand les choses s'étaient présentées à elle. Elle avait suivi ses ancêtres et se battait pour leur cause, elle répondait au sang par le sang. La gamine en avait fait de même, et elles n'arrivaient, toutes les deux, pas à la même conclusion. On ne pouvait pas la tuer pour la faire taire. Il fallait entendre ses arguments.
La scène avait assez duré. Maintenant, c'était la gamine qui pleurait pour ne pas mourir. Elle avait raison, elle devait vivre. Ara se leva et entra dans l'amphithéâtre. Elle commença par renvoyer la gamine là d'où elle venait avant de s'opposer à la force de ses sœurs. Le combat serait dur, mais il devait être mené. Ara le savait maintenant, ses sœurs n'étaient pas les dieux, ce n'était pas à elles de décider.

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