La fille de l'air (7)

Pour me faire pardonner du laps de temps beaucoup trop long de l'épisode 6.... je suis désolée... 



Eni grattait désespérément le sol lorsqu'il entendit un cri terrible venir des étages supérieurs. Il eut à peine le temps de se remettre debout sur ses pieds que le sol se mit à trembler. La secousse  fut d'une extraordinaire violence. On aurait dit que quelque chose était en train de déraciner sa prison. Au moment où cette idée lui traversait l'esprit, Eni vit une racine énorme rouler jusqu'à lui, comme un requin roule sous la vague. Elle était animée par la magie, c'était évident, la même magie qui permettait à Ara de courir dans les nuages et au vieux d'ouvrir des portes. À la vitesse où cette plante poussait et à l'allure effrayante qu'elle prenait, il ne faisait aucun doute qu'elle était celle qui allait une bonne fois pour toute exercer la menace que lui avait faite le roi s'il échouait. Elle était là pour le tuer. Il recula jusqu'au fond de sa cellule, attendant son heure dans l'angoisse. La plante arriva jusqu'aux barreaux, qu'elle détruisit dans un excès de fureur. Déjà d'autres racines arrivaient du plafond, des murs, du sol. Elle faisait passer les racines par tous les interstices qu'elle trouvait, et elle commençait même à se créer quelques passages. Elle avait pris possession des lieux.
Eni attendit, en regardant droit dans les yeux son bourreau si impersonnel. La plante sembla se calmer. Il attendit encore. Elle ne bougea plus du tout. Les barreaux avaient été réduits en miettes, il pouvait s'en aller. Il hésita quelques instants et il aurait bien attendu encore quelques temps pour être sûr de ne pas se faire attaquer si la pensée qu'Ara était peut-être en danger ne lui était pas subitement revenue à l'esprit.
Alors il se redressa sur ses pieds et commença à s'avancer vers la porte. Dans l'obscurité, il n'avait pas bien vu à quoi ressemblait exactement cette grosse racine. En fait, on aurait dit d'énormes branches, ou plutôt d'énormes ronces, qui s'étaient infiltrées partout et avaient pris place dans tout le sous-sol. Il monta les escaliers qu'il avait aperçu plus tôt. Les plantes avaient envahi tout l'étage. Eni suivit le couloir, ou ce qu'il en restait, et monta un autre escalier. Arrivé à l'étage suivant, le chemin se divisa, mais les ronces ne partaient que dans une seule direction. Eni hésitait à les suivre.
Il sentit alors quelque chose glisser le long de sa jambe. Les tiges se rétractaient doucement et semblaient revenir de là où elles étaient venues. Et malgré leurs épines, elles ne le blessèrent pas. Elles laissaient à Eni, en le frôlant, l'impression qu'il devait les suivre. Et c'est ce qu'il fit.
Il s'aperçut alors qu'il devait se trouver dans une sorte de tour, de donjon. Le tout était plutôt petit, en pierre sûrement et conçu pour être discret. Les petites pièces laissaient deviner que rares étaient ceux qui venaient ici, les armes sur les râteliers aidaient à comprendre que ça ne pouvait être qu'un poste avancé, ou un fort caché dans les montagnes. Toutefois, malgré les armes, il n'y avait personne dans cette tour, mis à part cette étrange plante qui semblait venir des étages supérieurs.
Elle le fit remonter d'étages en étages, un par un, toujours vers le sommet. Bientôt, il aperçut par une fenêtre la hauteur à laquelle celle-ci s'élevait. Pas de meilleure prison que celle d'où on ne peut même pas s'évader à la nage. Toute tentative d'évasion n'était que la promesse d'une chute mortelle.
Eni ne croisa personne. Absolument personne. Comme si la tour était vide ou comme si elle avait été vidée. Le seul son qu'il entendait était ce petit glissement des ronces qui suivaient ses pas, comme pour lui indiquer le chemin. Depuis le cri de tout à l'heure, la tour avait été plongée dans un silence presque surnaturel.
Il finit par arriver au sommet. L'escalier qu'il avait pris ne le menait plus que vers une seule porte, une petite porte en bois. Les ronces glissèrent une dernière fois derrière le bois dur et le son disparut. Eni resta seul.
La question qu'il se posait alors était de savoir ce qu'il y avait derrière cette porte. Étaient-ce des hommes du roi qui, plutôt que de l'exécuter traditionnellement, cherchaient à le piéger encore une fois avant d'accomplir leur mission ? Ou bien était-ce Ara, torturée par des hommes qui ne voulaient pas la laisser mourir, qui souffrait sans raisons et sans espoir de pardon ? Sa deuxième idée lui paraissait trop horrible. Il fit le pari, se prépara à mourir, posa sa main sur la poignée de la porte. Il entra dans la pièce.

Elle était circulaire, assez grande, avec, au centre, un bouton de rose gigantesque. Il touchait presque au plafond, qui pourtant avait les hauteurs des églises. Le bouton, malgré sa grande beauté, était d'une couleur rose étrange, d'une teinte pale et incertaine. Les ronces poussaient depuis son pied.
Eni observait cette chose étrange lorsqu'il vit quelque chose bouger près d'un mur. Un homme sortit des ronces, défiguré par une attaque sûrement aussi soudaine que violente. Il s'avança, malgré ses blessures et en proférant milles injures, vers le bouton. Eni, depuis l'entrée de la pièce, le regardait sans bouger ; il avait reconnu un des hommes du roi. Au moment où l'homme posa le pied sur la première feuille de la rose à venir, les ronces se ruèrent vers lui. Il fut englouti comme un poisson par un goéland, et disparut définitivement. Son dernier cri, pathétique de stupeur et d'effroi, se répercuta une ou deux fois sur les murs de la pièce et tout fut fini.
Il ne restait plus qu'Eni et cette plante gigantesque.
Après ce qui venait de se passer, Eni n'avait pas vraiment envie de s'approcher. Alors, pour la troisième fois, Ara lui revint à l'esprit.

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