La fille de l'air (2)

Il me semble que le début vous a plu... n'hésitez pas à laisser un commentaire, j'aimerais beaucoup savoir ce que vous pensez de ce que je vous écris.



-Vous m'avez vue dans les nuages ? N'importe quoi ! Je suis une fille sérieuse, je ne rêvasse jamais !
-Non, pas dans ce sens... Ne faites pas l'idiote... Je vous ai vue, là-haut... Courir dans les nuages. Ne le niez pas, je vous ai vu comme vous m'avez vu.
Ara marqua une pause. Elle hésitait. Devait-elle lui faire confiance et dévoiler son secret jusque là si bien gardé ? Après tout, il y avait encore une chance pour qu'il bluffe...
-Arrêtez cette mascarade. Votre père vous demande de rentrer. Jusqu'ici, il a été indulgent : il vous a laissé faire. Il a pensé que vous laisser voler de vos propres ailes quelques temps vous ferait mieux revenir. Vous devez vous rendre à l'évidence, rentrer et épouser l'homme qu'il vous a choisi. Regardez les choses en face : vous viviez mieux au château. Vous aviez de magnifiques robes, des servants à ne plus savoir quoi en faire, de la nourriture mille fois plus exquise que les nouilles que vous mangiez, vous habitiez le plus beau palais de tout le pays...
-C'est lui qui choisissait les robes. Les servants n'étaient là que pour s'assurer que j'obéissais bien aux ordres dictés par lui. Il choisissait les plats et les heures à laquelle je mangeais. Il me convoquait pour sortir, pour étudier, pour manger. Je n'avais accès, dans ce beau palais, qu'aux pièces autorisées par mon père, et où les servants me laissaient entrer. À certaines heures. Avec certaines personnes. Savez-vous ce que c'est que de vivre seulement avec l'autorisation de quelqu'un d'autre ? Bien évidemment que non... Vous n'êtes pas la belle princesse qui attend son prince charmant... pour avoir l'autorisation de vivre la même vie dans le château de son mari... Je ne rentrerai pas. Ça ne sert à rien d'essayer de me convaincre.
Cette fois-ci, c'était lui qui ne savait plus quoi dire. Malgré sa taille, il n'était pas imposant. Ses cheveux bruns lui tombaient sur les yeux ; il semblait réfléchir. Il avait l'air d'un gamin qui, interrogé par l'institutrice, aurait oublié la réponse à la question qu'elle lui posait. Il n'aurait pas eu l'air ridicule de poser son doigt sur sa bouche et de froncer les sourcils à la manière des enfants. Il n'avait pas prévu qu'on lui réponde.
-Ma mission est de vous ramener. Je vais avoir de gros ennuis si je rentre sans vous.
-Ce n'est pas mon problème. Faites ce que vous voulez. Ne rentrez pas. Faites croire à mon père que vous ne m'avez pas trouvée, et continuez à chercher.
-Pourquoi vous ne voulez pas rentrer ? Pourquoi vous préférez vivre comme une pauvresse plutôt que comme une reine ?
Ara commençait à se fatiguer de toutes ces questions. Il lui semblait maintenant impossible de ne pas lui donner quelques réponses. Ils avaient marché en parlant et il ne l'avait pas quittée d'un pouce. Si cet étranger était naïf, Ara ne l'était pas. Son père n'avait sûrement pas envoyé ce gringalet tout seul avec ses belles paroles. Si Ara voulait continuer à courir dans les nuages, elle devait quitter la ville le soir même. Il ne lui restait plus qu'à trouver un moyen de se débarrasser de cet idiot. Elle l'emmena sur-le-champ dans un bar crasseux, mais où elle était sûre que les murs n'avaient pas d'oreilles.
-Mon père ne vous a rien dit, je suppose.
-À propos de quoi ?
-De moi et mes sœurs.
-Vous êtes douze. Et pour la gloire du royaume, vous serez toutes mariées à des princes de haute lignée. Vous êtes la première à vous être échappée et, pour votre bien, votre père n'a pas essayé de vous ramener de force, pour vous prouver qu'il n'est pas cet être abominable que vous pensez qu'il est.
-Détrompez-vous.
« Ma mère a mis au monde treize filles. Jamais aucun garçon n'est né de l'union de mon père et de ma mère. Jamais aucun garçon n'est né de la famille royale, il ne naît précisément que treize filles, et ce depuis l'aube des temps. C'est l'époux de l'aînée qui succède au roi sur le trône. Nous sommes treize sœurs, ne me dites pas que je vous mens, je suis l'une d'entre elles, je suis bien au courant... J'aurais bien rétabli la vérité lorsque j'étais au château, mais nous n'avions aucun contact avec l'extérieur. Enfin bref, la tradition raconte que parmi ces treize enfants, l'une d'entre elle est maudite. Il est impossible de savoir, avant que la treizième fille ne soit née, laquelle d'entre elles est maudite. Cette maudite n'est connue que des membres de la famille royale. Elle incarne tous les pêchés de notre famille, et c'est pourquoi elle ne peut vivre... c'est pourquoi elle ne peut vivre une vie comme celle des autres.
La maudite peut vivre en paix avec ses sœurs jusqu'aux dix-huit ans de l'aînée, inconnue de tous. Une cérémonie a lieu précisément à la majorité de l'aînée et permet de savoir laquelle des treize enfants est la maudite. Cette dernière sera condamnée, une fois atteints ses propres dix-huit ans, à être enfermée dans la plus haute tour du château et sa vie ne sera plus que l'expiation des fautes de toute la famille. C'est le destin d'une fille de tous les rois qui ont régné ce royaume. C'est ainsi que meurt, à chaque génération, une enfant du roi.
La maudite, par son sacrifice, est censée protéger la bonne fortune de la famille, assurer sa prospérité et la protéger de ses ennemis. C'est pourquoi elle doit rester inconnue aux yeux de tous. Personne ne doit savoir que nous sommes treize ou bien nos ennemis essaieraient de rompre cette tradition pour s'emparer du pouvoir.
Lorsque j'étais petite, une de mes sœurs aînées a eu un grave accident de cœur. J'étais trop jeune pour en comprendre les détails, mais je me souviens qu'elle avait beaucoup souffert... Comme elle était naturellement mélancolique, elle s'est déclarée maudite. Pour être enfermée et ne jamais avoir à revivre la peine qu'elle avait vécu. Enfermée. Alors que la maudite, c'est moi.
J'ai pleuré des jours et des nuits entières lorsqu'elle est partie. Je savais depuis longtemps que j'étais maudite, mais c'est elle qui est partie à ma place... Avant de laisser sa chambre vide, elle est venue me voir, elle m'a dit qu'elle savait que c'était moi, qu'elle n'avait pas peur, qu'elle savait ce qu'elle faisait, que je ne devais pas l'arrêter, ni dire que c'était moi... Elle avait l'air résolu de celle qui voulait mourir... Je n'ai pas pu l'empêcher de partir à ma place, j'avais trop peur de ce qu'on me réservait à moi là-bas, dans cette tour... mais depuis, il n'y a pas une nuit où je ne rêve pas de son dos qui disparaît dans les ténèbres... »

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